LA CATASTROPHE DE ROQUEBILLIERE DU 24 NOVEMBRE 1926 ET SES CONSEQUENCES
Aude DEBERDT Résumé d'un mémoire de maîtrise soutenu à la Faculté des Lettres de Nice sous la direction de M. Ralph Schor.

C’est sur les premiers contreforts des Alpes-Maritimes, à une cinquantaine de kilomètres à l'intérieur des terres que se situe le village de Roquebillière. Bâtie à 585 mètres d'altitude, sur la rive gauche de la Vésubie, cette commune composée en 1926 de mille cinq cents âmes s'étale le long de la route reliant Nice à Saint-Martin-Vésubie. Le village est surplombé d'un mamelon rocheux culminant à 829 mètres sur lequel est construit Belvédère. Au cours d'une nuit d'automne 1926 ces deux villages vont sortir de leur tranquille anonymat par un drame : une partie du territoire de Belvédère s'éboule sur Roquebillière entraînant destructions et morts. La "catastrophe de Roquebillière" avait eu lieu. Le cas de Roquebillière va, à son échelle, montrer les problèmes à long terme qu'engendre un drame inattendu. Plus d'un demi-siècle après, les incidences sociales, politiques, économiques et culturelles se font encore sentir. Si, sur le moment, la catastrophe suscite la solidarité, son règlement provoque les ruptures. Carte situant Roquebillière

LA CATASTROPHE • La destruction de Roquebillière Pendant le mois de novembre 1926, orages et pluies provoquent partout en France et en Europe des inondations. Dans les Alpes-Maritimes, la situation devient préoccupante : de nombreux éboulements sont signalés dans le haut-pays niçois, isolant des villages de la Haute-Vésubie. Très vite, les liaisons de village à village ne peuvent plus être effectuées qu'à pied. Au dessus de Roquebillière, sur le mamelon rocheux qui le domine, une menace se dessine : une crevasse se forme sur les terrains situés au Nord, c'est-à-dire en direction du village. Le danger commence à inquiéter les populations des deux villages. Aussi, le 23 novembre, sur l'incitation de l'adjoint au maire de Belvédère, M. Guigo, maire de Roquebillière, décide d'aller sur les lieux pour évaluer les risques. Après examen, la crevasse leur paraît assez étroite, moins menaçante que ce qu'ils craignaient et le village ne leur paraît pas en danger dans l'immédiat. La population encore alarmée, est rassurée par la proclamation d'un crieur public leur assurant qu'ils pouvaient rentrer dormir chez eux, sans crainte. Mais la montagne continue à bouger et le 24 novembre, à 3 h 10 du matin, la lèvre inférieure de la crevasse cède brusquement. Une masse énorme de terre se détache de la montagne et glisse jusque dans le lit de la Vésubie, emportant tout sur son passage. La pente, partout forte, dépassant parfois 45 degrés, est dévalée en deux à trois minutes par le glissement de terrain qui avec une force accrue vient s'abattre sur le village. Le volume de terre déplacé peut être estimé à trois millions de mètres cubes.

Profil approximatif de l'avalanche.

Dans l'affolement général, la population de Roquebillière se réfugie de l'autre côté de la Vésubie. Mais un grand nombre de personnes surprises dans leur sommeil restent bloquées sous l'éboulement. Les Roquebillérois sont en état de choc : une grande partie du village a disparu et beaucoup des leurs sont restés bloqués sous les décombres. Très vite le décompte des absents se fait. Leur recensement est facile à faire dans la mesure où tout le monde se connaît dans ce petit village. Dix-neuf personnes manquent à l'appel. Mais peut-être des personnes ensevelies peuvent- elles encore être sauvées ? Il s'agit donc de donner l'alerte de toute urgence. Comme Roquebillière et Belvédère ainsi que toute la vallée de la Vésubie, sont sans téléphone ni télégraphe depuis quelques jours, c'est à bicyclette que la nouvelle est portée. La gendarmerie de Nice n'est prévenue qu'à 7 h 30 du matin. Pendant ce temps, des villages alentours arrivent des hommes armés de pelles et de pioches. Hélas ! Il devient rapidement évident que rien ne pouvait être tenté pour sauver de la mort ceux enterrés vivants. Par ailleurs tout essai de déblaiement risque de déclencher un deuxième éboulement et menace donc la vie des sauveteurs. Tout travail de déblaiement est arrêté. De plus, le danger n'est pas écarté : la masse argileuse continue son travail et l'affaissement du village de Belvédère reste possible. Le 30 novembre, sous l'action des pluies, la montagne se remet en mouvement. En l'espace de deux jours, elle avance à une vitesse de 5 mètres par 24 heures, sur une largeur de 60 à 200 mètres. Les maisons dressées sur son chemin ne peuvent résister. Et c'est sous les yeux des sinistrés, regroupés sur la rive en face, que, le 1er décembre, dix d'entre elles s'écroulent une à une. Heureusement, fin décembre, avec le gel, la terre est plus dure, et se stabilise. Evolution de l'éboulement de Roquebillière Devant la persistance du danger l'aile gauche du village, c'est-à-dire les quatre cinquièmes des habitations, est évacuée. Les gendarmes veillent à ce que le village soit totalement vidé, puis ils forment un cordon barrant toutes les issues. Mais cette consigne n'est pas bien comprise ni acceptée par les habitants qui ne veulent pas partir. Il s'agit dorénavant de veiller à la sécurité et au bien-être des survivants. Le conseil municipal constitue deux commissions chargées de s'occuper du ravitaillement et de l'habillement des sinistrés et de statuer sur les travaux d'urgence à effectuer. De plus, des baraquements en bois sont envisagés pour loger les sinistrés. Les premières explications sur l'éboulement de Roquebillière sont avancées. Le rôle des pluies ne fait aucun doute mais une étude approfondie détermine que l'éboulement serait la résultante d'une convergence de trois causes différentes : - une cause permanente : la multiplication des canaux d'irrigation. En effet le déversement de flots durant la saison sèche sur les terrains agricoles empêche le sol de s'égoutter et rend l'absorption des pluies hivernales impossible.

- une cause immédiate : les pluies catastrophiques de l'automne 1926. Du 21 octobre au 22 novembre, les précipitations ont pulvérisé tous les records. Tableau synthétique de pluviométrie - une cause finale : les mouvements sismiques. Des mouvements de faible amplitude avaient été ressentis les jours précédents. C’était des séismes légers, courants dans la région mais qui agiront comme des déclencheurs sur un terrain déjà miné, raviné, facilitant ainsi les phénomènes d'effondrement et de glissement. • Les aides financières L'annonce de la catastrophe par les journaux provoque un grand choc dans tout le pays. Le lendemain même les deux quotidiens régionaux "L'Eclaireur de Nice et du Sud-Est" et "Le Petit Niçois" lancent des souscriptions auprès de leurs lecteurs. De leur côté les conseils municipaux de différentes communes de France votent une somme pour venir en aide aux sinistrés de Roquebillière. Le montant final des souscriptions publiques et privées, des communes et des particuliers, atteindra la somme de 1363 242,08 francs 1. Avec l'affluence des dons, un organisme est nécessaire pour les gérer et pour organiser de façon efficace les aides. Aussi, le 2 décembre 1926, un comité de secours aux sinistrés de Roquebillière est créé par arrêté préfectoral. Mais la répartition des secours pose problème. Les souscriptions reçues par le préfet et la presse doivent-elles être uniformément réparties à toutes les victimes ou seulement aux plus atteintes, celles de la première zone qui ont tout perdu ? Ce n'est que sept mois après la catastrophe que la question est tranchée en faveur des plus atteints et qu'ils pourront toucher leurs indemnités. _______________ (1)Pour convertir les sommes de l'année 1927 en valeur actuelle les multiplier par le coefficient 2.96

Les secours et les dons alloués par les particuliers et les conseils municipaux ne suffisent pas pour venir en aide aux sinistrés de Roquebillière et Belvédère. L'aide des pouvoirs publics est nécessaire. Aussi, le 12 décembre 1926 le conseil général, réunit en session extraordinaire, vote un crédit de 200 000 F pour effectuer les réparations urgentes et indispensables et pour assurer la circulation normale dans le plus bref délai. A cette somme, il faut ajouter 50 000 F, votés précédemment par la Commission départementale. Le gouvernement, interpellé sur ce drame, va voter coup sur coup deux lois pour, d'une part, secourir d'urgence les sinistrés, et, d'autre part, leur permettre de reconstituer leurs capitaux perdus. Toutefois, avant de distribuer ces crédits, il s'agit de procéder à l'évaluation des dommages par des commissions. De plus, une coopérative de reconstruction est prévue par la loi afin que les sommes allouées par le gouvernement y soient directement versées. Cette intervention du gouvernement va aussi permettre de rétablir rapidement les voies de communications détruites par la catastrophe, et si nécessaires à l'économie du pays. Dans ces centres montagneux, les routes sont fondamentales pour la circulation des marchandises et des touristes. Ces derniers venant nombreux l'été font profiter les villages reculés de leur pouvoir d'achat élevé. Il est donc impératif de rétablir la circulation sur les routes avant l'été afin de favoriser leur retour. En ce qui concerne les chemins vicinaux ordinaires et les chemins agricoles, leur destruction empêche la reprise de la vie agricole car les agriculteurs ne peuvent plus accéder à leurs terrains. Il en est de même pour les canaux d'irrigation endommagés et nécessaires à l'agriculture dans ces régions au climat estival si sec. Des travaux de réparations doivent être rapidement entrepris. • L'estimation des dégâts Conformément à la loi, le préfet des Alpes-Maritimes, M. Benedetti constitue par un arrêté daté du 12 décembre 1926 une commission chargée d'estimer les dégâts causés par les orages de 1926. Cette évaluation doit ensuite servir de base à l'administration pour examiner les demandes de secours. Conjointement, une commission locale à vocation consultative assiste aux opérations. Les deux commissions ont pour rôle de déterminer la valeur vénale des immeubles écroulés ou voués à être détruits. Le travail d'estimation se heurte à de nombreuses difficultés. Pour les immeubles ayant disparu il ne reste plus aucune indication de leur état réel. Il est donc difficile de vérifier les déclarations de perte des sinistrés. La commission tient compte de la situation de deux sortes de sinistrés réclamants : ceux de la première zone dont les immeubles ont entièrement disparu et qui ont tout perdu, et ceux de la deuxième qui ont pu aller rechercher des affaires dans leur habitation encore debout. Aussi, en plus des dégâts effectifs, la commission s'intéresse aux dégâts éventuels, c'est-à-dire concernant les maisons menacées et évacuées mais non encore anéanties. Finalement, l'estimation menée par la commission se révèle très différente des chiffres déclarés par les sinistrés et elle suscite de violentes contestations. Une pétition réclamant "une révision totale des dites évaluations mobilières et immobilières", signée par 216 personnes, est envoyée au préfet. Le conseil municipal adresse une requête afin d'obtenir une révision complète des évaluations menaçant, si leur appel n'est pas entendu, d'une démission collective. En octobre 1927, la commission consultative est saisie de l'affaire. Le sous-préfet Michel est chargé d'aller entendre sur place les doléances des réclamants et recueillir l'avis de la commission locale. Il apparaît que certaines personnes ont été omises et le chiffre des évaluations est revu à la hausse, avec une augmentation de 57 020 francs.

Mais les contestations reprennent, mettant en doute, cette fois, la fiabilité du travail de la commission, et l'accusant d'avoir accédé à certaines demandes intéressées. Le village commence à se scinder en deux parties : ceux favorisés par les évaluations et ceux défavorisés. Déjà certains dénoncent d'autres de n'être intervenus pour obtenir une réévaluation que par intérêt personnel plutôt que dans un réel souci de justice. Les habitants de la troisième zone, ceux habitant dans la zone non éboulée, c'est-à-dire les trois-quarts des Roquebillièrois, se manifestent. Ils soulignent que, même si pour l'heure leur logement est encore debout, y habiter reste dangereux car l'éboulement menace toujours. Il leur faut s'installer plus loin. Mais pour cela ces sinistrés de "troisième zone", ont besoin des aides financières qui leur sont refusées. Elle veut donc être désignée comme sinistrée, au même titre que les autres, et faire bénéficier ses immeubles des mêmes avantages que ceux détruits. Suite aux réclamations, une nouvelle commission est nommée par le préfet afin d'évaluer les immeubles de cette troisième zone de Roquebillière destinés à être évacués. L'évaluation ici menée sera moins large que la précédente car les pertes sont moindres, les habitations étant encore debout. Un premier chiffre d'estimation est arrêté. Mais une fois de plus les mécontents se font entendre. La commission revient donc et l'évaluation de la troisième zone portant sur 269 portions de maisons est arrêtée à 2 170 000 F. Mais les Roquebillièrois ne sont pas encore convaincus. Ils mettent de nouveau en doute la valeur du travail effectué. L'impartialité de la commission est clairement mise en doute. De nouveau interpellé le préfet va encore faire procéder à des vérifications d'où il ressortira qu'effectivement des sinistrés avaient été oubliés dans la liste. Trois zones ont été déterminées par les travaux successifs des commissions. Une quatrième se dessine naturellement et concerne les habitants de Roquebillière dont les immeubles n'ont subi aucun dégât et qui, situés en dehors de la partie dangereuse, n'ont pas à être reconstruits. Mais très tôt, il apparaît que le village doit être rebâti ailleurs. Les derniers habitants ne veulent donc pas rester seuls et isolés dans le village à moitié en ruines. Faisant valoir le préjudice moral et la dépréciation qu'allaient subir leurs immeubles avec l'éloignement du nouveau village, ils demandent à être assimilés aux autres sinistrés. Mais cette réclamation est impossible à satisfaire : une commission aurait du mal à évaluer le préjudice réel. Le préfet ne donnera donc pas suite à leur demande.

Récapitulatif :

Zone 1, maisons entièrement détruites - Remboursement à 100 %. Zone 2, maisons à demi-détruites - Remboursement à 90 %. Zone 3, maisons encore debout mais devant être évacuées. Les menaces d'éboulement subsistent - Remboursement à 75 %. Zone 4, maisons en dehors de la zone dangereuse - Remboursement à 0 %. LA RECONSTRUCTION • Un nouveau village Devant les dangers persistants, le village doit être abandonné et reconstruit sur un autre emplacement. Un lieu doit être choisi. Trois quartiers sont retenus : Gordolon, Plangast et Le Cros. L'ultime choix est laissé aux Roquebillierois. Le 10 juillet, un référendum est mené, au terme duquel le quartier du Cros, sur la rive opposée, est désigné. Les terrains du Cros sont achetés et l'ensemble est divisé en une série de lots de dimensions variables, devant ensuite être distribués entre les sinistrés. Le choix de l'emplacement n'est pas possible car il est décidé que le nouveau village s'agencerait comme l'ancien. Ainsi, ceux qui habitaient sur la place centrale ou sur la rue principale, se trouveront au Cros sur la nouvelle place ou sur la rue principale, et ainsi de suite. Chaque propriétaire doit recevoir dans le nouveau village une superficie de terrain proportionnelle à celle qu'il possédait dans l'ancien. Par ces mesures, le conseil municipal espère éviter toute réclamation et toute injustice. Le conseil municipal doit maintenant nommer un architecte pour reconstruire le village. En février 1928, il nomme MM. Saint-Paul et Gravier, architectes de Nice, qui, quelques semaines après présentent leur projet. Mais leur dépense totale est beaucoup trop chère, dépassant largement les budgets possibles. Le Conseil général refuse. Le maire de Roquebillière entre alors en contact avec Honoré Pons, ancien architecte en chef de la ville de Nice. Ayant, par le passé, reconstruit six villages dans les régions libérées, Pons semble tout indiqué. Son projet est retenu pour une dépense totale de 14 000 000 francs. Suivant les vœux du gouvernement, le 18 août 1927, le conseil municipal de Roquebillière donne un avis favorable pour la cr éation de la société coopérative de reconstruction nécessaire à l'édification du nouveau village. Avant sa constitution, le conseiller général du canton de Roquebillière, Philippe Corniglion-Molinier part dans les régions libérées du Nord de la France où existe ce type de coopérative, pour se documenter sur leur fonctionnement. Ces régions très détruites par la guerre 14-18, avaient su développer, par la force des choses, une bonne technique de reconstruction des zones détruites par le biais de ces coopératives. Cette coopérative a pour fonction d'agir au nom des sinistrés qui par un bulletin d'adhésion lui délègue tous les pouvoirs pour la reconstruction de leur foyer. Elle est gérée par un conseil d'administration composé de dix membres élus par l'assemblée générale. En fait, dans la pratique, le conseil ne sera pratiquement toujours constitué que de sinistrés faisant partie du conseil municipal. La suite montrera qu'à chaque fois, un premier adjoint au maire, si ce n'est le maire lui-même, sera nommé à un poste clé de cette société. Ce manque d'autonomie fera des mécontents car les opposants à la mairie en place seront défavorisés.

Cette coopérative gère des ressources importantes provenant essentiellement des subventions accordées par l'Etat et le département. Mais il s'agit aussi des versements faits par les adhérents, de leurs emprunts et de leurs apports personnels, de dons et de legs, et des intérêts des sommes ci-dessus indiquées. La reconstruction soulève des protestations. Les partis politiques s'en mêlent. Lors des municipales de février 1932, le parti adverse insiste dans sa campagne électorale, sur une reconstruction rigoureuse et impartiale du village. Il s'engage, en cas d'élection, à contrôler tous les travaux et à s'entourer des conseils d'un technicien étranger au département pour revoir les conditions dans lesquelles les travaux ont été exécutés. Tenant ses engagements, le nouveau maire de Roquebillière, Pierre Guigonis, élu le 25 février, fait tout de suite appel à cet expert, Amédée Peynaud. Des malfaçons sont constatées : de nombreuses modifications ont été apportées aux différents projets, sans autorisation, et des ouvrages importants construits ont déjà subi des dépassements. L'architecte Pons, chargé de la surveillance des travaux, porte une grande part de responsabilité. Invités à venir s'expliquer sur les faits constatés, l'architecte et les entrepreneurs concernés ne fournissent aucune défense sérieuse. Aussi, le conseil municipal décide d'intenter une action en justice contre eux. Cependant, les découvertes de malfaçons ne doivent pas entraver la poursuite des travaux. Mais il apparaît que le plan d'aménagement du nouveau village est mal conçu puisque le terrain du Cros acheté et morcelé est insuffisant. Un nouveau plan d'aménagement et de nivellement se révèle nécessaire. M. Peynaud, pressenti pour ce travail, doit tenir compte des murs et des constructions déjà effectuées, édifiées pour la plupart de façon anarchique. Le traçage des rues est donc lui aussi à revoir, de même qu'une grande partie des conduites d'eau qui placées antérieurement ne correspondent plus au nouveau tracé des rues. De nouvelles canalisations doivent être posées. En septembre 1933, le nivellement du nouveau village, réalisé à la main et à la pioche, est terminé. Les bâtiments publics, la mairie et les écoles, sont bien entamés. En ce qui concerne les constructions des particuliers, elles sont très irrégulières. Les 229 lots destinés au particuliers ne sont pas tous distribués, loin de là ! Une date limite de retrait des lots est fixée au 31 janvier 1933 afin d'inciter les retardataires à participer à la reconstruction du village, et à utiliser leur indemnité de sinistré. Toujours dans cette optique, le conseil municipal déclare que le terrain mis à disposition d'un propriétaire redeviendra automatiquement propriété communale si aucune construction n'y a été édifiée dans un délai de trois ans à compter du jour où le dit terrain aura été mis à sa disposition. Le délai de réemploi des indemnités est fixé au 31 décembre 1933. Mais à cette date, la plus grosse partie des immeubles n'est toujours pas édifiée. En fait, de nos jours en 1995, certains lots ne sont toujours pas bâtis, ni d'autres attribués. Certaines familles, sinistrées de première zone, sans ressources, ne peuvent, avec leur seule indemnité, bâtir une maison d'habitation. Aussi, en 1930, la municipalité de Roquebillière envisage comme une solution la construction au nouveau village d'immeubles à usage d'habitation collective. Cependant, même en s'unissant, ces propriétaires ne peuvent matériellement les faire construire. La coopérative et la municipalité proposent alors de les aider. En contrepartie, les intéressés doivent s'engager à habiter personnellement les locaux pendant dix ans et à ne pas vendre leur appartement, avant vingt-cinq ans, à un prix inférieur au prix de revient.

Sept maisons permettant de loger 85 familles des trois zones, sont mises en chantier. Outre aider les sinistrés dans le besoin, ce programme d'ensemble permet aussi de résoudre un autre problème : l'insuffisance des terrains achetés. Au quartier du Gros, les travaux sont maintenant bien entamés. Ce village a la curieuse particularité d'émerger d'un seul coup, et non pas de façon empirique, voire anarchique, comme la plupart des autres villages. Dès 1934, il faut penser à lui donner vie, à le rendre habitable. Au début de l'année 1935, une grosse partie de la population se fixe définitivement au nouveau village de Roquebillière. Pourtant quelques éléments essentiels existant dans l'ancien village, manquent encore : le moulin, les lavoirs, l'église... Bien qu'en partie abandonné, le vieux village reste nécessaire, par les services qu'il peut toujours fournir. La vie ne se transplante pas aisément d'un milieu à un autre. L'inexistence d'une église au nouveau village pose problème. La présence d'une église au sein d'un village est vitale pour sa cohésion et son animation. La nouvelle église "du cœur immaculé de Marie" est en grande partie terminée lors de sa bénédiction, le 28 novembre 1954, 28 ans et quatre jours après la date anniversaire de la catastrophe. • Les difficultés A partir de 1935, la commune commence à se débattre avec de gros problèmes d'argent. Les travaux au nouveau village sont suspendus par manque de liquidité. Certains projets sont alors renvoyés d'année en année. Et des travaux qui n'ont pu être exécutés qu'à moitié, s'abîment sous les pluies. Les eaux de pluie ravinent les rues nouvellement construites mais dont le goudronnage n'a pu être fait. La commune doit aussi faire face à des actions en justice. Entre 1932 et 1940, elle est en butte à différents litiges avec des responsables de la reconstruction du village. Devant des cas de malversations, de dépassement de budget prévu, ou de retards, elle traîne devant les tribunaux de la préfecture les contrevenants. Cependant, elle n'a pas le monopole des poursuites puisque à plusieurs reprises, elle est elle-même citée à comparaître. Le premier architecte de la commune, Honoré Pons, poursuivi en justice par la commune pour ne pas avoir surveillé le bon déroulement des travaux, est condamné par arrêté du conseil de préfecture. Mais Pons contre-attaque et fait appel du jugement au Conseil d'Etat réclamant le règlement de ses honoraires. Pons attaque aussi la société coopérative de reconstruction. Finalement, une transaction à l'amiable est préférée par les trois partis en présence. Les intérêts de la commune sont sauvegardés, par devant même ceux de la coopérative, qui prend à sa charge le paiement de Pons. Un autre problème à régler apparaît, soulevé par l'administration des Ponts et Chaussées : il s'agit des travaux effectués par le nouvel architecte Peynaud. Ces derniers vont découvrir et signaler une série d'erreurs commises par l'architecte Peynaud. Par souci d'économie, ce dernier n'avait pas prévu de trottoirs. Mais cette solution est cause d'humidité pour les maisons riveraines. De plus, pour les chaussées principales, Peynaud a créé des ouvertures trop étroites pour permettre le passage des camions. Relevé de ses fonctions, Peynaud est poursuivi en justice par le village. Aucun autre document ne permet de savoir par la suite ce qu'il est advenu de cette affaire.

En juin 1937, MM. Saint-Paul et Gravier, les premiers architectes à avoir dressé un plan de reconstruction du village intentent une action judiciaire contre la commune. Ils veulent obtenir le paiement des honoraires pour l'exécution du plan général de reconstruction du village. Pourtant, ce plan n'avait pas été retenu à l'époque en raison d'un important dépassement de budget et d'un manque manifeste de compétences. Cette réclamation 9 ans après surprend. En fait, Saint-Paul et Gravier accusent Pons et la commune d'avoir utilisé leur plan, après l'avoir un peu réaménagé. Un architecte-expert, envoyé par la pr éfecture afin de vérifier ces dires, conclut dans le sens des plaignants. Le 29 mai 1940, le conseil de préfecture condamne la commune à payer des indemnités à MM. Saint-Paul et Gravier. LA COEXISTANCE DES DEUX VILLAGES • Ce qu'il advient du vieux village Malgré les difficultés, le nouveau village prend peu à peu vie tandis que le vieux village se dépeuple. Progressivement, il est vidé de sa population, de ses organes administratifs, de ses services, de ses boutiques. La mairie est abandonnée ainsi que la poste, les écoles, l'église et même le vieux four communal qui, trop vétusté est devenu inutilisable et seront reconstruit au nouveau village. Il en est de même pour le moulin. Les habitants demeurant au vieux village sont désormais éloignés de tout, de plus d'1,5 km. Car, même si le vieux village se dépeuple, un certain nombre d'habitants y restent pour diverses raisons. Il y a d'abord ceux qui, attachés à ce lieu, n'envisagent pas d'aller habiter ailleurs. H y a aussi les habitants de la quatrième zone qui, n'ayant pas obtenu d'indemnités, n'ont pu partir. En 1971, le vieux village compte encore 300 personnes. De cette situation il résulte d'un côté des maisons pleines de vie, de l'autre des ruines insalubres. Les habitants du vieux village ne veulent pas le laisser mourir et se liguent pour protester contre les difficultés soulevées par l'éloignement du nouveau village. Bien qu'une partie du village reste habitée, une grosse étendue demeure à l'abandon. Les maisons désertées sont sans toiture et n'offrent plus que des pans de murs sans stabilité. Ces ruines surplombent la route nationale et le chemin vicinal ordinaire, menaçant constamment les voitures, les habitants et les touristes-randonneurs. Des travaux de démolition sont nécessaires. Des éboulements continuent régulièrement de menacer le vieux village. En novembre 1951, des pluies persistantes provoquent de nouveaux éboulements. Certains habitants inquiets, quittent leur habitation pour se mettre en sécurité. En décembre 1969, un nouveau glissement de terrain a lieu dans la coulée de l'éboulement de 1926. Comme la zone éboulée semble toujours instable, le conseil municipal demande au département de faire procéder à une nouvelle étude. Les risques d'éboulements existant toujours bel et bien, toute construction sur ces terrains est interdite. Les intempéries de 1971 amènent un nouvel état de fait ; l'évacuation du reste du vieux village se révèle nécessaire. Des pluies diluviennes ravinent en profondeur la colline de Belvédère qui se met à bouger. Bien que des travaux de drainage soient immédiatement entrepris, le maire Gérard Bernasconi, par mesure de précaution, signe le 27 juin 1974 un arrêté d'évacuation du vieux village. Une première zone à évacuer est décrétée et concerne plus de 90 foyers. Un nombre équivalent de logements doit être prévu au nouveau village pour les recevoir. Le transfert des habitants du vieux Roquebillière est prévu pour l'automne 1978. La démolition du reste du village est évoquée mais ce projet est très discuté.

• De nos jours De nos jours, le vieux village continue à être habité. Les risques existent mais ils sont mieux étudiés, prévus et canalisés. Les causes d'excédents d'eau dus aux pluies, aux canaux dans la colline, sont connus, analysés et il y est porté remède. Les habitants, sans réellement s'inquiéter professent un certain fatalisme. Le décret d'expulsion de 1974 pèse toujours sur le vieux village. Mais les dangers sont-ils toujours les mêmes ? Le préfet ne devrait-il pas maintenant revoir cette mesure faisant de Roquebillière zone rouge ? La population souhaite que le vieux village puisse reprendre ses activités et qu'on lui en donne les moyens. Mais ils reconnaissent eux-mêmes qu'aucun élu ne prendra ce risque. Toute construction nouvelle est donc interdite à Roquebillière-le- Vieux, mais aucune loi n'empêche l'habitation des vieilles maisons. Aussi, progressivement, elles sont réparées et réinvesties. Toutefois, les travaux ne peuvent être que d'entretien, et non de construction : toute nouvelle ouverture sur la façade est interdite et les ravalements sont rarement permis. Le vieux village affiche donc une physionomie originale de vieux bâtiments décrépis abritant des appartements refaits à neuf. Les Roquebillièrois utilisent ce système pour augmenter leur capital, restaurant puis louant ou vendant ces appartements. Actuellement, près de 50% des habitations du vieux village sont des maisons secondaires appartenant essentiellement à des Niçois. Interdit de construction, le village ne peut se développer. Les commerçants pâtissent de cette mesure qui les empêche d'agrandir leur commerce. Des projets de réhabilitation et d'urbanisme proposés pour stopper la dégradation du village se heurtent aux arcanes administratives. La collectivité souhaiterait pouvoir racheter les maisons abandonnées afin de les réhabiliter ou utiliser leur espace. Mais pour beaucoup, on ne sait plus qui en sont les héritiers. C’est un vrai problème car une grande partie du village est donc vouée à rester en ruine. Malgré toutes ces difficultés, les habitants de Roquebillière-le-Vieux restent très attachés à leur village. En raison des difficultés et du petit nombre de résidants, une forte solidarité s'y est développée. Une solidarité qui se nourrit aussi d'une volonté de particularisme par rapport au nouveau village. Les habitants s'y sentent entre eux, entre personnes de même qualité, lésés ou oubliés des évaluations. En ce qui concerne le nouveau village, il ne pose plus en 1995 les mêmes problèmes. Il vit désormais par lui-même, sans aides. Cependant, construit hors de danger, sur un plateau choisi par des géologues compétents, le village est désormais en dehors du cours de la Vésubie, en dehors de l'axe routier. Cela a pour conséquence grave une méconnaissance du nouveau village par les gens transitant par la vallée. De ce fait, l'essor économique est entravé et l'économie du village s'en ressent. Si la commune d'aujourd'hui est toujours importante, son développement n'est pas exactement celui que l'ancienne commune aurait sûrement connu. L'activité commerciale du nouveau village est uniquement tournée vers les besoins de ses habitants, sans que la notion de passage de touristes puisse l'augmenter. Par le biais d'un événement local, cette recherche évoque les difficultés à long terme soulevées par une catastrophe. Les problèmes sociaux, culturels, économiques et politiques perdurent au fil des années, avec l'entretien équivoque de la mémoire. La catastrophe de Roquebillière est profondément ancrée dans les souvenirs. De plus, la mémoire collective est entretenue par la célébration annuelle du drame devant une plaque commémorative apposée à cet effet le 20 novembre 1931. Au sein de Roquebillière, la catastrophe provoqua des clivages profonds entre les familles, les amis, les voisins. Lors de chaque nouvelle campagne électorale, le thème majeur des partis est de réconcilier les Roquebillièrois entre eux. Mais on peut se demander si la division actuelle qui persiste, n'est pas entretenue par ceux-là mêmes qui assurent vouloir l'effacer. N'est-elle pas excitée lors des élections par l'un ou l'autre parti ? A Roquebillière, les gens semblent vouloir oublier, mais la possibilité ne leur en est pas laissée. Entretenir la mémoire d'un drame se révèle donc être à double tranchant. Quelles sont les limites à établir?

 


Aux portes du parc du Mercantour et de la vallée des Merveilles, la Vésubie est un joyau pour les amoureux de la nature avec sa flore et sa faune sauvage. Doté d'un riche patrimoine culturel, vous traverserez tous les âges.