C’est dans le haut pays niçois, au cœur d’un village surplombant
majestueusement la vallée de la Vésubie, justement nommé Belvédère, qu’est
blotti le musée de lait, jadis coopérative laitière. Ce musée regroupe
nombreux objets anciens traditionnels utilisés pour la production du lait
et de ses dérivés. Il vous propose de découvrir, à travers eux, la vie
d’antan et les usages de la vie pastorale de ce temps. C’est au sein de
ces paysages de pâturages alpins, aux portes du Mercantour que la
coopérative vit le jour, facilitant la production et la distribution du
lait. Cet aliment si répandu dans notre quotidien connaît aussi de
nombreux dérivés ; du fromage au beurre que l’on étale sur nos tartines.
Le fromage, est d’ailleurs aussi riche en variétés que les vins, et le
vocable utilisé pour le définir est aussi diversifié que celui des
œnologues. Aujourd’hui les méthodes utilisées ont évolué mais Belvédère
conserve précieusement ces ustensiles, précieux héritages du passé
intimement lié à la mémoire vivante d’un temps révolu.
La
coopérative
Fondée en 1911, sur l’initiative de l’instituteur, la laiterie
coopérative fut référencée comme société anonyme au capital variable.
Elle
portait alors le nom évocateur d’« Avant-garde Vésubienne de Belvédère ».
Parmi les quinze fondateurs, on compte Monsieur Castellan, qui occupait
alors la fonction de Maire, son adjoint, ainsi que des propriétaires
agriculteurs. Cette entreprise devait assurer la distribution du lait à un
prix rémunérateur pour les producteurs, ce, grâce au traitement en commun
de la matière première par l’établissement construit à Belvédère et
disposant du matériel approprié, fournissant ainsi un lait de qualité. Les
associés étaient en effet soumis à des directives sanitaires concernant
les étables et les bêtes. Pour exemple : le lait de la traite du matin et
celui de la traite du soir se devaient d’être répartis dans des bidons
différents. Le lait des vaches ayant récemment vêlé, c’est à dire, ayant
récemment mis bas, n’était accepté dans les dix jours suivant la naissance
du veau. Des normes étaient établies concernant l’acidité du lait et sa
teneur en matière grasse (entre 30% et 38%), le lait riche en graisse
rapportant une somme d’argent supplémentaire à son propriétaire. Son
fonctionnement Ouverte de novembre à
mai,
la coopérative recevait chaque soir le lait des agriculteurs. C’est à dos
d’âne ou à pied que s’effectuaient les transports. Une fois pesé, le lait
était filtré puis
pasteurisé La coopérative traitait entre 2000 et 3000 litres de lait par
jour. Elle fut modernisée en 1950 par l’un de ses plus importants
sociétaires, Monsieur Long, également propriétaire de la Riviera à Nice.
D’un point de vue administratif, la société était divisée en 212 parts de
vingt cinq francs soit un capital total de 5300 francs. Quinze membres,
respectivement propriétaires de deux parts de l’entreprise au moins et
désignés lors de l’assemblée générale, formaient le conseil
d’administration, lequel avait en charge l’élection parmi ses membres : du
président, de deux vice-présidents, d’un secrétaire et d’un trésorier.
Leur implication dans l’entreprise relevait du bénévolat. Le lait une fois
traité était transporté chaque jour à Plan du Var, où il était vendu à la
coopérative centrale situé dans la plaine du Var. La somme ainsi obtenue
était répartie entre chaque agriculteur en fonction de la quantité de lait
fournie. Les excédents annuels étaient répartis dans divers fonds de
réserve. Les sociétaires étaient également gratifiés d’un intérêt de 4% du
capital versé.
Généralités
Le lait, premier aliment de la vie d’un
mammifère, est sécrété par les glandes mammaires des mères afin d’apporter
de la nourriture à leur progéniture. Ce liquide est caractérisé par son
apport nutritionnel très équilibré en lipides, protides et glucides dont
les proportions varient en fonction de l’espèce et des besoins de
celle-ci. Composé à plus de 80% d’eau, le lait renferme des sucres que
l’on appelle lactose, des protéines, principalement de la caséine, des
vitamines, ainsi que divers sels (à savoir sodium chlore, phosphore,
calcium, potassium et soufre). Le lait de vache est celui qui remplace le
plus facilement le lait maternel chez l’homme, après adduction de lactose,
c’est également celui le plus répandu dans notre consommation alimentaire,
à l’échelle mondiale. Quoique moins fréquents, existent aussi le lait de
chèvre et de brebis. Le lait connaît de nombreux dérivés ; qu’il s’agisse
du fromage, du beurre, du yaourt ou de la crème, il se retrouve
quotidiennement à notre menu. Et si nous le dégustons sous toutes formes
et sans modération, c’est au prix de nombreuses transformations et
traitements préalables, fruits de l’expérience de plusieurs générations…
Mais il est temps de suivre le guide :
Production Aujourd’hui bien sûr, la production du lait et de ses dérivés
s’effectue grâce à des systèmes mécanisés et informatisés. Mais il n’en
fut pas toujours ainsi et le musée du lait de Belvédère, nous offre une
exposition qui va nous permettre d’appréhender les balbutiements de
l’industrie du lait.
L’élevage et la vie pastorale.
Il serait inconvenant de parler de
la production du lait à Belvédère sans rendre hommage à l’actrice
essentielle de cette histoire : la vache. Car ce sont en effet les vaches
qui peuplent majoritairement les troupeaux. Principalement d’origine
savoyarde, leur constitution leur permettant de mieux s’adapter au relief,
elles produisent cependant moins de lait : sept à quinze litres par jour.
Il existait aussi un troupeau de chèvres communal, et quelques moutons
dont on filait la laine pour confectionner des vêtements chauds. Un
appareil de cardage figure d’ailleurs au musée : Cet appareil, muni de
dents de fer retournées, permettait de débarrasser la fibre de la laine de
ses impuretés et de démêler les brins.
L’automne est le temps des labours, on passe la
raïre (l’araire) afin
de retourner la terre des champs. Cette lourde pièce de bois, sur laquelle
est placé un instrument en fer, profilé, crée ainsi les larges traces dans
la terre meuble. Il faut la force des bœufs ou des mulets, pour labourer
et l’adresse de l’agriculteur pour manier cet appareil. On y relie les
bêtes grâce au
joug (pièce ) dont la forme varie selon l’animal auquel il
est destiné. En effet, on le place sur la tête des bœufs, et au niveau du
poitrail des équidés, car ce sont dans ces parties de leur anatomie
respective que ces animaux concentrent leur force, on optimise ainsi leur
force de traction. C’est en mai, au son des
picouns, les clarines que commence la transhumance Ce grand mouvement des troupeaux
s’effectuait en deux étapes. On faisait halte sur des terrains de moyenne
altitude, avec les bêtes, pendant quelques semaines, puis à partir du mois
de juin, jusqu’au mois de septembre, les éleveurs confiaient leurs vaches
à des gardiens « les vachers », qui les menaient dans les pâturages de
haute montagne. Durant cette période d’été les hommes étaient ravitaillés
chaque semaine en vivres composées essentiellement de pain, de petit salé,
de farine de maïs et de pommes de terre. Les vachers assuraient la garde
et l’entretien du troupeau. Ce travail demandait une présence constante,
débutait dès deux heures du matin et ne leur permettait de prendre du
repos qu’à partir de onze heures du soir. Les nuits sont fraîches dans les
cabanes de haute montagne, situées à des altitudes proches de 1700 mètres
et pour alimenter le feu, compagnon millénaire des hommes en quête de
réconfort et de nourriture cuite à point, l’on coupait du bois à l’aide de
scies dont les formes pouvaient varier. On compte notamment la
serre
et la troupilliero. Un ustensile en cuivre nommé
chaufferette, dans lequel on plaçait des braises permettait de réchauffer
les draps. Les vachers avaient également en charge le soin des bêtes et la
récupération du lait produit durant cette période. Aussi, le matériel
nécessaire à la fabrication du fromage et du beurre était transporté, soit
grâce à des ânes, que l’on dirigeait par la bride de leur
muraïe ou licol, sur des
bast ou bâts , jusqu’à la vacherie, soit par
les hommes. La fin de l’été arrivant, l’on calculait, selon les pesées de
lait effectuées régulièrement, la quantité de fromage à rendre à chaque
propriétaire. Les vachers étaient rémunérés en nature, prélevant une part
de la production d’ensemble. Le retour des troupeaux donnait lieu à une
grande fête, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, où les villageois
proposent de nombreux produits gastronomiques locaux : la fête du Rosaire ou
retour des bergers. Aux champs, on laboure de nouveau, mais cette fois ci,
avec des outils plus fins, les
Magaïe, montés sur des manches de
bois Durant l’hiver, les vaches mettent bas, c’est la période dite de
vêlage durant laquelle les éleveurs gardaient leurs vaches dans les
étables. Ils les nourrissaient de foin, fauché quelques mois plus tôt,
ramassé à l’aide d’un râteau, lou rastel, d’une fourche et entreposé à cet effet, après avoir était transporté dans un
Berrioun , filet constitué de deux morceaux de bois, reliés par
des cordes tressées. La faux aussi nommée lou Daïe, qui conserve
une forte image symbolique dans l’imaginaire et les superstitions, était
un accessoire nécessitant un entretien régulier. Ainsi, on enfonçait dans
un billot de bois prévu à cette intention, le pic de la marteleïre sur lequel est articulé un marteau. On usait de celui ci afin d’affiner
la lame de la faux, que l’on affûtait ensuite à l’aide d’une pierre à
aiguiser, ou « pierre à eau ». Celle ci devant nécessairement être
mouillée pour ne pas abîmer la lame, on la conservait dans une corne
emplie d’eau que l’on portait à la ceinture : lou cuiller.
Proche cousine de la faux, tant par la forme que par l’étymologie, la
faucille, ou « voulam » était aussi utilisée aux champs
surtout pour les céréales (blé et seigle en altitude.)
Le soin des bêtes était un souci quotidien, chaque jour d’hiver, les
éleveurs s’occupaient de la traite de leurs vaches laitière, le matin et
le soir. Assis sur un curieux petit banc à un pied unique, la
banquetto , ils procédaient de la manière suivante : après avoir lavé les
mamelles à l’eau tiède, ils les essuyaient délicatement, puis
recueillaient aussitôt le lait qu’ils filtraient à l’aide d’entonnoirs puis, ils le stockaient dans des bidons qu’ils trempaient dans
l’eau froide, en ayant pris soin de ne pas récupérer le liquide issu des
premiers jets. Le soir, ils menaient leur production à la laiterie pour
qu’elle y soit traitée. Et afin que ces fidèles nourricières ne manquent
pas de confort, on les gratifiait d’un étrillage en règle à l’aide de L’estrillo , c’est à dire qu’on brossait les bêtes, de manière à les
débarrasser de la boue séchée. estrillo Une fois à la coopérative, le lait
était pesé dans des balances dites « romaines » ou Lou escandaïe et la quantité mesurée notée sur un carnet nominatif, afin de pouvoir
rémunérer chaque éleveur en fonction de sa contribution. Une fois filtré,
le lait était pasteurisé. Le processus de pasteurisation tire son nom du
célèbre chimiste Pasteur, qui l’inventa en 1865 pour empêcher la
fermentation du vin et du lait tout en conservant sa saveur et sa valeur
nutritionnelle. Il consiste à chauffer le liquide à traiter entre 55 et
70°C pendant une demi-heure, puis en le refroidissant rapidement pour le
conserver à une température inférieure à 10 °C. D’abord chauffé dans une
chaudière alimentée en charbon, on refroidissait le lait en le déversant
sur radiateur cylindrique rempli d’eau froide On trouve deux types
d’appareils de refroidissement du lait. Le système plus moderne installé
vers 1950 permettait de peser, puis filtrer le lait automatiquement avant
qu’il soit aspiré par une pompe qui l’emmenait sur un radiateur à
l’intérieur duquel circulait de l’eau froide, et parvenait dans une cuve
où il était conservé une à deux journées, attendant le transport pour
Nice.
Le Beurre
Cette préparation culinaire très riche en matière
grasse, obtenue à partir de la crème du lait. A cette fin, le lait est mis
au repos dans des récipients en terre cuite, plus légère que les autres
composants du lait entier, la crème remontait à la surface du liquide où
elle était prélevée à l’aide d’une louche plate en cuivre ou en bois, lou
cremaiere. On la récupérait alors avec une écumoire. Puis, la
crème est énergiquement battue à l’aide d’une burriero, baratte de
telle sorte que la graisse et l’eau se séparent. Il existait aussi des
barattes individuelles. On dit que le beurre coagule. On le
passait dans un malaxeur, lou
mescle muni d’une vis sans fin
qui enlève le petit lait. A sa sortie du malaxeur le beurre est formé en
plaquette, puis coupé à l’aide de fils à beurre en plaquettes d’égales
dimensions.
Le fromage
Le lait n’ayant pas servi à la confection du beurre
était transformé en fromage, les « tomes ». Le fromage, denrée alimentaire
solide ou semi solide obtenue en séparant l’élément solide du lait, le
caillé de sa partie liquide, le petit lait, salé et vieilli, pendant un
temps plus ou moins long. L’origine du fromage remonte à la préhistoire,
car le fromage, issu du mot latin formaticus « fait dans une forme » est
un type de nourriture pouvant être fabriqué dans .n’importe quelle
environnement. Le fromage conserve également de nombreuses propriétés
nutritionnelles du lait. Le lieu où se fabrique le fromage s’appelle
fruitière, d’un vieux nom de la Suisse romande Freit signifiant fromage.
Première étape de fabrication : le caillage (ou coagulation) On faisait
tiédir le lait dans un chaudron, la koudiero, dont la contenance
est comprise entre 400 et 500 litres, suspendu au dessus du feu par la toun potence.. On insérait dans celui ci la présure, qui
contient des enzymes issus des sucs gastriques des veaux. On l’obtenait en
faisant sécher sur la cheminée, la peau d’un estomac de veau, la
caillette, quatrième poche de l’estomac des ruminants. L’animal ayant
nécessairement été élevé sous la mère. On le découpait ensuite en lanières
avant de le réduire en poudre. Cet élément permet l’acidification du lait
grâce à la présence, dans ce mélange de levures se nourrissant de lactose
qui entraînent la précipitation de la caséine, c’est à dire la coagulation
de ces protéines, en un produit granuleux : le caillé. Il demeure alors un
liquide que l’on nomme le petit lait et que l’on mettait de côté. Le
caillé est maintenant « tranché » c’est à dire réduit en petits grains
grâce à ces bâtons, dont une des extrémités est agrémentée d’une forme
très particulière, La
battoutero , son nom français est le tranche caillé. Deuxième étape de fabrication : égouttage et salage La
reproduction de l’imbouchierro supporte, de gauche à droite : une pierre
pour écraser le caillé, une
faisselle et un maillet Afin de séparer le
caillé de ce qui restait de petit lait, on sortait le fromage en
préparation dans un linge propre, puis on le battait, avant de le disposer
dans une faisselle, récipient comprenant de nombreux trous pour
permettre l’évacuation du liquide, et de l’écraser à coups de maillet,
avec une lourde pierre pour l’égoutter. Le petit lait était évacué grâce
aux gouttières sculptées dans la table en marbre et dont une reproduction
en bois figure au musée du lait. L’imbouchierro.
C’est
lors de l’égouttage que l’on va définir la consistance du fromage, c’est
également à ce moment précis que l’on ajoute le sel. Diverses méthodes
peuvent être utilisées, du simple saupoudrage du caillé, à la trempe de
celui ci dans du saumure. On peut également frotter le fromage avec un
chiffon imbibé de sel. Troisième étape de fabrication : l’affinage Une
fois le fromage définitif conçu, il s’agit de le faire vieillir afin de le
faire devenir plus compact, et de lui permettre de prendre du goût. « Et
les trous dans le fromage, c’est à cause des souris ? » demandait un
enfant que ces alvéoles intriguaient. En réalité, il s’agit de la
fermentation interne du caillé au cours du processus de vieillissement,
qui produit des gaz ne pouvant s’échapper du fromage. Ils forment alors
des petites poches, qui constituent les « trous ». Une fois le fromage à
point, il ne reste plus qu’à le peser sur la balance à plateaux et à le
déguster, en tranche ou râpé grâce à la
Gratuzo, nom local de la râpe à
fromage.
Le brousse et la brousse, spécialités locales. Le petit lait est
traditionnellement donné comme nourriture aux cochons, mais à
Belvédère,
on en conserve quelques tonneaux, afin de fabriquer le brousse, et la
brousse, spécialités locales fort appréciées des résidants comme des
visiteurs friands de mets de caractère. Au bout de quelques mois de repos,
le petit lait devient aigre, et on y rajoute la présure pour cailler la
brousse. Ce petit fromage est à déguster une fois salé est poivré,
accompagné d’un bon vin. Le brousse, quant à lui, est obtenu après avoir
fait tiédir et cailler le petit lait dans le chaudron. On récupère le
caillé dès les premiers frémissement, puis on procède à l’égouttage comme
pour la tome. On le placera ensuite dans un pétrin où il sera pétri à la
main chaque jour pendant quelques semaines. Du temps qu’il demeurera en
cave dépendra l’intensité de son parfum.
Et maintenant… Aujourd’hui l’industrie laitière s’est automatisée pour
permettre une production plus importante, nécessitant moins de personnel.
L’élevage des troupeaux est toujours effectué par des paysans, mais l’on
trait les vaches à l’aide de trayeuses automatiques, et le nombre de bêtes
par élevage a considérablement augmenté. Le lait et ses dérivés font
l’objet de contrôles stricts. De plus en plus de fromages reçoivent l’Appellation
d’Origine Contrôlée (AOC), garantissant leur origine. La France produit
environ 23 millions de tonnes de lait par an, dont plus de 80% de lait de
vaches. A Belvédère, il existe toujours une vacherie, et nous pouvons donc
festoyer gaiement avec l’assurance que le brousse, la brousse et la tome
resteront à l’honneur de nos menus montagnards ….
Le Musée du Lait - Index
et définitions
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