Histoires et les contes du haut-pays d'Alain GRINDA. |
Superbes, Les Pagans n'avaient pas le temps de travailler puisqu'ils devaient s'occuper des armes et surveiller le pays pour guetter l'arrivée des pillards. Et d'ailleurs, les travaux des champs étaient si harassants que les soldats ne pouvaient s'y adonner, pas même à temps perdu : ils n'auraient plus été assez vaillants au moment de l'attaque. Mais les Pagans devaient se nourrir comme tous les hommes. Et même davantage et mieux pour être plus forts que les ennemis. Rien n'était assez bon pour eux. Ils demandaient aux Barvérencs tout ce qui leur était nécessaire et qu'ils ne pouvaient malheureusement pas gagner à la sueur de leur front. Ils les faisaient payer. Ils les faisaient même payer fort cher, d'où ce nom de Pagans. C'était, en quelque sorte, un impôt qui ne profitait qu'à ceux qui le percevaient. Une fois par an, le chef des Pagans exigeait que la plus belle fille du pays monte sur la plus haute des cimes des rochers Saint-Sauveur. Cette jeune fille devait venir seule et lui apporter un sac d'or. Bien entendu, on ne revoyait jamais ni la fille, ni l'or. Un sac d'or, cela n'était pas rien. Afin d'acquérir les pièces pour remplir ce sac, les paysans devaient vendre plus de la moitié de leurs récoltes. Et les Pagans, du haut de leurs rochers, ne les quittaient pas des yeux. Les guetteurs ne se tournaient plus vers la gauche pour surveiller les collines d'où l'ennemi ne venait pas. Ils épiaient sans cesse à droite, le village de Barver et ses environs. Ils voyaient les allées et venues des uns et des autres. Rien ne leur échappait. Tout au long de l'année, ils observaient attentivement les travaux des champs des Barvérencs. Quand les troupeaux sortaient au pré ou montaient à l'alpage de la Gordolasque, ils pouvaient très bien compter le nombre de vaches que chacun possédait. Ils contrôlaient aisément le revenu des moissons, et celui de toutes les cultures. Personne ne pouvait tricher : ils voyaient tout. Une année, le seigneur Pagan décida que ce serait Catherine, la fille du Maire de Barver qui apporterait le sac d'or. Les villageois furent indignés par cette exigence : Catherine était aussi bonne que jolie et tout le monde l'aimait. Ses parents l'adoraient. Son père surtout, il n'avait qu'elle comme fille, et Catherine aux noires tresses entrait à peine dans ses quinze ans. Mais les Barvérencs ne possédaient aucune arme –les Pagans le leur avaient interdit– et ils n'avaient aucun moyen de résister. Quand Catherine sut la nouvelle, elle vint voir son père et lui dit: – Aguès rè pòur, paire. Ai caires San-Salvaire, i' anarai ! Dès que le sac d'or fut prêt, Catherine alla dans le jardin de sa mère. Elle y cueillit un grand bouquet de fleurs dont elle fit une gerbe. Et au milieu de cette gerbe, elle cacha le couteau pointu dont son père se servait pour tuer les cochons. Elle monta comme prévu vers les cimes Saint-Sauveur. Quand le chef des Pagans la vit arriver, son sac d'or dans une main et son bouquet dans l'autre, il lui ouvrit les bras pour l'accueillir sans la moindre méfiance. Mais en lui tendant le bouquet de fleurs, Catherine lui planta le couteau pointu en plein coeur, et sans attendre son reste, elle se sauva au milieu des gardes stupéfaits. Pour aller plus vite, elle abandonna son or, se jeta dans les rochers en bondissant, traversa la forêt sans se retourner, et rejoignit le pont du Véséou en quelques minutes. Courant à perdre haleine, elle franchit la Gordolasque, et remonta au village sans s'arrêter une seconde. Les Barvérencs étonnés l'accueillirent avec des acclamations de joie et ses parents ne purent retenir leurs larmes de bonheur. Les premiers moments d'allégresse passés, il fallut déchanter. Si les Pagans n'étaient pas encore descendus pour se venger, c'est qu'ils mettaient au point un châtiment exemplaire. Dès le lendemain à l'aube, armés jusqu'aux dents, ils descendraient de leur repaire pour mettre le village à sac. Ils s'empareraient toutes les récoltes, brûleraient les maisons et massacreraient la moitié des habitants. En pensant à ce carnage, les gens du village oublièrent leur joie et se mirent à sangloter, à pousser des cris de désespoir. Quand Djan, le jeune berger aux yeux bleus, entra à Barver avec le troupeau de chèvres, il dut se frayer un passage au milieu d'un concert de lamentations. – Mà que vous arribo, mà que vous arribo? – Sian perdus, paure de nautre, sian perdus ! Et on lui expliqua ce qui venait de se passer et le malheur qui allait s'abattre sur le village. Comme tous les soirs, les chèvres étaient rentrées seules dans les maisons de leurs propriétaires. Elles connaissaient parfaitement le chemin, il suffisait qu'on laisse la porte ouverte. En ce temps-là, chaque famille possédait une ou deux chèvres qui produisaient un chevreau pour Pâques et surtout du lait toute l'année pour les enfants. C'était bien utile quand les vaches étaient en alpage, à la Valette ou au Graus. Un berger conduisait tous les jours la cabraïro de vilo dans les rochers de la Traverse où elle pouvait paître sans abîmer les jardins ou les champs et sans consommer la bonne herbe des pâturages à vaches. Djan dit aux Barvérencs de rentrer chez eux, de traire les chèvres comme tous les soirs. Dès que la nuit serait tombée, il passerait dans les rues et sonnerait de la trompe comme il le faisait d'ordinaire tous les matins. Il suffirait alors d'ouvrir les portes : les chèvres croiraient le moment venu de partir brouter. Elles sortiraient et le suivraient. Djan demanda aussi aux villageois d'allumer une lanterne et de l'accrocher entre les deux banes, les deux cornes de chaque chèvre, avant de la laisser sortir. Il fut fait ainsi que le jeune berger l'avait recommandé. A la nuit noire, Djan passa dans la grand-rue de Barver et sonna de la trompe. Toutes les chèvres sortirent avec leur lampe à huile entre les banes et le suivirent. Mais Djan ne prit pas le chemin qui conduisait à la chapelle Saint-Blaise puis aux rochers de la Traverse. Au Sament, il descendit tout droit vers la Gordolasque qu'il franchit sur le pont du Véséou, suivi par une multitude de petites lumières sautillantes. Il prit ensuite le sentier qu'avait dévalé la petite Catherine et monta sans hésiter vers les rochers Saint-Sauveur. Là-haut, les gardes des Pagans veillaient. Ils virent toutes ces lumières qui montaient à l'assaut de la montagne. Ils en comptèrent près de trois cents. Effrayées, ils réveillèrent leurs compagnons. Les misérables venaient à peine de s'endormir après avoir préparé leurs armes pour venger la mort de leur chef. Ils s'étaient beaucoup disputés, et même battus, pour savoir qui succéderait au seigneur-Pagan et comment organiser les représailles du lendemain. Tout à coup la panique s'empara d'eux. Ils crurent comprendre la raison de l'audace de la jeune Catherine : si elle avait osé poignarder leur chef, c'était parce qu'elle se sentait protégée par toute une armée de mercenaires. Les Barvérencs avaient dû s'allier avec des centaines d'hommes pour venir les déloger de leur nid d'aigle du Saint-Sauveur. Mieux valait fuir au plus vite. C'est ce qu'ils firent, sans tambour ni trompette, au milieu de la nuit. Dans leur précipitation, ils ne purent retrouver leur or que l'un d'eux avait caché. Il paraît que certains le cherchent encore aujourd'hui dans les rochers de la montagne. Ils partirent sans se retourner et allèrent si loin au-delà des grandes collines que plus jamais on n'entendit parler d'eux, ni d'aucun seigneur, dans notre pays. C'est depuis ce temps que les Barvérencs s'appellent les Banès et que nous faisons des chansons pour dire notre joie d'hommes libres sur la montagne. Fin..
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