Monographie de Belvedere - La Gordolasque - Vallée de la Vésubie, 06450 Alpes Maritimes - Côte d'Azur - France

LE CHATEAU DE BELVEDERE

   Nous remercions M. Jean Claude POTEUR qui nous a fourni de très nombreuses informations pour composer cet article.
"Belvédère est un vieux village" En partant de ce constat oral, il nous a semblé important de s'interroger sur ce caractère "ancien" tellement évident. Les archives du village nous présentent encore aujourd'hui des documents datant du XIVème siècle (des parchemins). Nous n'avons, malheureusement que peu de documents pouvant nous "parler" de l'histoire de Belvédère avant cette époque, ce qui est un phénomène comparable aux autres villages alentours.

   Regardons et essayons d'imaginer la Vésubie au début de l'époque Médiévale. Que connaissons nous ? La première mention connue de la vallée apparaît au XIème siècle. Nous ne possédons que quelques documents qui belvedere - veubiepermettent de replacer notre région dans un ensemble plus vaste, celui de la Provence au temps de la Réforme Grégorienne. Le mouvement connaît une certaine ampleur, secoué par la reconquête de l'autorité épiscopale, officiellement "spoliée" par les seigneurs locaux qui se seraient approprié les terres que détenait l'Église auparavant, profitant de l'époque de consécutifs à la fin de l'Empire Romain. Encore faut-il largement revenir sur cette notion de "troubles", lors des temps que nous appelons traditionnellement les "Invasions Barbares". En fait de spoliation de la part des seigneurs, on sait aujourd'hui qu'il s'agit avant tout de créer un nouveau cadre à la société, celui imposé par les évêques, préparant l'avènement d'un État fort, à travers le temps que l'on a appelé l'époque des Principautés. Ces rappels historiographiques sont nécessaires pour comprendre ce qu'a pu être la Vésubie au tournant de l'An Mil. C'est donc l'évêque de Nice qui prend pied dans la Vésubie, au détriment des anciennes familles seigneuriales, qui tenaient le haut pays depuis plusieurs décennies. Nous sommes loin des mythes "Sarrasins", qu'aucune source historique critiquable ne présente. Cette histoire peut êtreBelvedere - Vésubie jugée comme une vaste opération de propagande lancée par la nouvelle maison seigneuriale, celle des Comtes issus de Guillaume, que l'on nomma alors "Le Libérateur". Le terme lui-même est une façon de légitimer, à posteriori, sa prise de pouvoir dans l'ensemble de la Provence, et surtout dans cette partie Orientale longtemps délaissée par le pouvoir. Les Terres Neuves, le futur Comté de Nice, restent des terres de Marche, véritables frontières vers le Piémont. Cette notion de Marche est importante, car elle ne fixe aucune frontière linéaire telle qu'on en imaginerait aujourd'hui. Il s'agit d'une zone territoriale, d'une profondeur importante, servant d'espace tampon entre deux territoires identifiés et définis comme antagonistes. Le Comte est loin de la Vésubie, vers la Provence centrale, à Aix. C'est à l'évêque, ou à l'abbaye de Saint-Pons-hors-les-murs qu'échoit la reprise d'autorité. Ce sont les deux seules institutions ayant conservé une structure forte et des liens familiaux proches des pouvoirs de tutelle. Les familles "féodales" sont obligées de céder à la pression d'un pouvoir ecclésiastique capable de lancer excommunications et anathèmes contre elles (en fermant les églises, refusant les sacrements...), mais aussi de mobiliser des troupes "fidèles", plus sûrement intéressées par les dépouilles des futurs vaincus, qui ne manqueraient pas de leur échoir en guise de remerciements. Ces mêmes autorités ecclésiastiques n'hésitent pas, après soumission, à remettre entre les mains des anciens seigneurs une partie de leurs terres, contre la reconnaissance de leur domination. Nous ne sommes pas encore au temps des castrum. Il s'agit plutôt d'une période de transition, dans une zone où la majorité de la population n'est pas encore totalement christianisée et où subsistent d'anciens cultes fortement imprégnés de paganisme. Dans cet espace, l'habitat reste en partie isolé, prenant la forme exploitations agricoles d'importance, héritières du mode d'occupation antique. Plusieurs lieux peuvent encore être identifiées dans la vallée. Mais en négatif. (il s'agit d'un axe de recherche du C.E.V.). Ce sont les documents du XIIIème siècle qui nous donnent ces informations. Revenons aux alentours de l'An Mil. Au XIème siècle, je propose d'identifier deux espaces différenciés par leur domination politique :

  • au nord, la haute vallée, possession de la famille Rostaing, qui tiennent aussi le Valdeblore ainsi que de vastes territoires dans la Tinée. Ce lignage est apparenté à la seule famille Vicomtale de Nice, dont nous connaissons surtout la Comtesse Odile, au Xème siècle.
  • au sud, ce sont vraisemblablement les seigneurs de la famille de Vintimille qui dominent.

   La zone de contact passe aux alentours de Berthemont - Fenestres. Ces deux familles sont vraisemblablement apparentées, puisqu'elles luttent ensemble contre les prétentions Génoises sur la vallée, et nous pouvons les suivre conjointement jusqu'au début du XIVème siècle. Les Vintimille tiennent encore quelques biens ou revenus jusqu'au début du XVème siècle sur les villages de la Vésubie, comme le montrent nos archives, alors que les premiers ont sans doute déjà perdu l'essentiel de leurs possessions au profit des Communautés d'habitants "libres" ! Celles-ci deviennent une véritable particularité de notre vallée dès le XIIIème siècle, très rapidement après la période d'établissement des villages.
Car le Comte de Provence joue de ces Communautés récemment constituées comme de véritables interlocuteurs contre le pouvoir seigneurial local, trop souvent enclin à rechercher l'autonomie contre leur suzerain. D'où également l'octroi de nombreuses "libertés", ce que nous appelons généralement les Statuts, véritables lois locales qui régissent nos villages. C'est au Parlement Général des chefs de famille que revient alors l'autorité législative, accordée par le Comte de Provence contre la reconnaissance de leur domination. C'est à ce moment que se rattache la place de la Frairie, ou du Saint-Esprit, modèle commun à tous les villages de la vallée.

   De ces époques, il ne nous reste sur le terrain que peu d'informations. Période de transitions rapides, l'installation des seigneurs "féodaux" a nécessité de pouvoir dominer la population. Dans un premier temps, celle-ci s'effectue en relation avec la structure d'autorité : la motte féodale castrale.
Puis vient l'autorité ecclésiastique concurrente, puis la nécessité de regrouper les populations dans des structures où la domination pourrait être plus efficace, afin de diriger l'espace productif. C'est du moins la conception communément reconnue du phénomène : c'est le temps du castrum, pour nous entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle.
Mais en créant ces nouveaux centres de pouvoir, les seigneurs se trouvent en confrontation directe avec les habitants qu'ils ont contribué à regrouper et qui forment ainsi une nouvelle puissance. Les tentatives autonomistes du Val de Lantosque furent durement punies par les troupes du sénéchal de Provence, dans le premier tiers du XIIIème siècle. Romée de Villeneuve, de mauvaise mémoire, détruisit de nombreux castrum (Saint-Colomban, Manoinas, pour ne citer que les plus connus), comme en témoignent les mentions de dirupta (détruits) reportées dans la grande enquête du premier Comte Angevin de Provence, Charles Ier, en 1252. Sur les 17 localités connues au début du siècle, seules 8 sont encore habitées. Les autres sont citées comme abandonnées. Il n'y a plus, après ce terrible épisode, qu'un seul château dans la Vésubie, à Belvédère même.
La toponymie "féodale", la terminologie locale, nous restent comme des signaux indicatifs de ces anciens lieux : une série de quartiers appelés villar et ses dérivés, castel, condamine, des lieux aux saints oubliés (on a parlé de Saint-Sauveur), sont autant d'indicateurs. Mais ils ne suffisent pas à eux seuls et nécessitent de croiser une série de sources.

   Pour Belvédère, le modèle est le même. Il faut consulter les archives des Comtes de Provence pour pouvoir remonter au-delà du XIVème siècle. La première mention d'un castrum apparaît vers 1232 (on parle alors de Belvezer).
Cette présence nous est confirmée en 1247, 1252 et 1263, dans les grandes enquêtes que lancent les premiers souverains provençaux de la maison d'Anjou. On parle alors de plusieurs membres d'une même famille du lieu.
Dans la grande enquête de 1252, le Comte de Provence possède à Belvédère l'albergue sur la tour et dans le château du lieu (albergum sive turnum, et castrum est suum). Il est intéressant de noter la présence de ces deux structures identifiées. Nous proposons comme thèse d'étude, que l'une, la tour, aurait pu être élevée après la victoire du Comte, pour imposer sa présence au castrum, comme le laisse supposer le modèle similaire de Gréolières.
Ce même Comte possède alors les droits sur deux fours, deux moulins et un paratore. Il tient encore des droits sur les prés et les champs. Mais aussi sur deux jardins, dont un est dit "sous le rempart" (barrium) et un autre au quartier de la source (ad fontem) de Belvezer, ce qui paraît important, puisque les jardins se trouvent en règle générale à proximité immédiate du village. Cette mention nous permet une première tentative de localisation. Une terre lui appartient au fossé (in Goutro) du castrum, sans que nous puissions mieux identifier le lieu. Ces quelques indications nous proposent déjà une image du site.

   Au XIVème siècle, nous connaissons le nom du châtelain de Belvédère : un certain Matthieu. Et lors de la dédition du Val de Lantosque à la Savoie, en 1388, ce sont des seigneurs de la famille de Vintimille qui possèdent le castrum et la villa de Belvédère. Il est alors possible que les deux lieux soient désormais distincts. Le premier restant l'installation dont nous venons de parler, le second pouvant être désormais le village que nous connaissons aujourd'hui.
La population du lieu nous est inconnue. L'enquête de 1252 ne laissait apparaître que 58 feux (l'importance du feux est discutable, mais généralement reconnue entre 4 et 5 personnes, ce qui représente moins de 300 personnes). Il est vrai que la population sortait d'une période militairement agitée qui avait vu le comte de Provence reprendre possession du Val de Lantosque par la force. En 1271, par contre, la population atteignait désormais 89 feux. Au mieux, 450 personnes, même si il nous est impossible d'assurer que le "recensement" (affouagement - le comptage des feux) ait pris en compte l'ensemble de la population. Il est possible que seuls les feux imposables aient été relevés par ces enquêtes. Les feux exonérés (trop pauvres ou privilégiés) n'ayant pas été comptabilisés. On admet généralement qu'ils représentent au plus, 1/6ème du total. Il n'en reste pas moins que la différence des chiffres (+50 % entre les deux dates) semble un progrès démographique considérable en une seule génération. Pour Belvédère, rien n'empêche de penser que ce "rattrapage" puisse être la conséquence d'une transformation radicale de l'habitat... Je propose d'y voir le seul exemple d'un véritable déplacement du "premier" village par un réel déperchement du site, en contrebas de la butte originelle, me plaçant ainsi en contradiction, infime bien sûr, avec la thèse de Jean Paul Boyer.
A la fin XIVème siècle apparaît la famille des Grimaldi , seigneurs de Beuil, qui obtiennent les châteaux de Roquebillière et de Belvédère en échange de ceux qu'ils possédaient dans des régions plus éloignées de leurs nouveaux souverains, les comtes de Savoie. Il faut voir dans ce transfert une double nécessité, de la part des Grimaldi, de dominer directement un centre névralgique des nouvelles terres savoisiennes (J'entends par ce terme l'appartenance à la maison de Savoie), au lendemain de la Dédition du Val, orchestrée par cette famille de grands seigneurs, alors au plus haut de leur ascension sociale, dans la proximité immédiate du souverain. Mais aussi une volonté de celui-ci d'installer au cœur de ce même réseau une présence forte, capable d'assurer ses nouvelles positions dans ces terres nouvellement acquises.
L'enquête orale lancée par les élèves du Club Patrimoine du Collège de Roquebillière au mois d'avril 1999, a rappelé, selon les dires d'un habitant interrogé, que le château appartenait aux Grimaldi, identifiés selon notre époque, à la famille régnante de Monaco. Ce qui n'est qu'en partie juste, puisque les Beuil et les Monaco n'ont pas de liens directs à l'époque féodale. Mais l'intérêt de cette enquête apparaît, je pense, à chacun de nous.
Elle rappelle un fait historique qui nous vient d'une époque éloignée et qui est transmis, par l'oralité. Il s'agit ici d'un élément essentiel dans la recherche. La "Mémoire Orale", qui ouvre des voies de recherches, même si le fondement historique n'est pas totalement avéré. Il en est de même des légendes qui forment un fond culturel important et absolument nécessaire dans les anciennes civilisations où l'écrit reste marginal.
Plus encore quand elle s'appuie sur un écrit. Rappelez-vous de la fameuse borne que nos élèves ont montré en suivant M. Bois. Le fameux Napoléon, resté dans l'imaginaire et transcrit par les élèves. Même si M. Bois n'a pas attribué la paternité de cette pierre à l'Empereur, les élèves ont joué le rôle du médium transmettant une légende, en la renforçant, en lui donnant une réalité. Cela nous permet au moins de resituer un contexte. Même s'il paraît plus vraisemblable, selon les dires de M. Bois, que le "B" en question s'apparente plus à Belvédère. Cela reste un élément de l'oralité et nous n'avons pas voulu y apporter de correctif, afin de créer de nouvelles interrogations autour de sa création, se justifiant pédagogiquement par l'analyse et le croisement des sources d'information.

Revenons aux Grimaldi.

   Les archives d'État conservées à Turin confirment leur emprise sur le château de notre village au début du XIVème siècle, où il est dit "menaçant ruines", ce qui permet à Jean François Grimaldi, nipote (neveu) et héritier universel de Cosme, d'être exonéré de 600 florins de dépenses par le Patrimoine Royal (le Fisc), afin de pourvoir à ses réparations (vers 1429 ?). Rien ne dit alors que le site "haut" ait été abandonné au profit de l'installation actuelle, mais cela devient probable par la tardiveté de la restauration, qui nous rapproche des époques constatées dans le village.
Quelques années plus tard, Raymond Alegre, prieur de Valdeblore, est également vice gouverneur de ce même château.

Enfin, en 1495, ce sont des
Patentes Ducales qui installent Honoré Grimaldi, fils de Jacques, seigneur de Beuil, dans la charge de châtelain du lieu de Belvédère. Ainsi y a-t-il eu continuité, depuis l'époque des comtes de Provence et Belvédère possédait encore, à la veille de l'époque Moderne, le seul château "régalien" du Val de Lantosque.
Mais posons nous la question de l'implantation de ce château au
jourd'hui disparu ? Il paraît certain, après l'étude menée sur le bâti du village actuel, qu'il ne se trouvait pas implanté sur ce site. Les parties les plus anciennes du village ne semblent pas être antérieures au XIVème siècle. Il faut donc le chercher ailleurs. Et pour cela, quelques indices peuvent nous y aider.

   Rappelons-nous du jardin cité précédemment pour le localiser dans le quartier qui porte encore aujourd'hui le nom de Fuont. La toponymie peut également nous aider dans ce repérage, en nous permettant de localiser des quartiers dont l'origine peut nous ramener à l'époque médiévale. Si il n'y a pas, à proximité du village, de lieu-dit "le château", nous retrouvons un quartier dont le nom est évocateur de ce temps : la condamine, qui rappelle le con-dominium, autrement dit la "double seigneurie". Le terme est généralement formé quand il y a partage entre le pouvoir laïque et ecclésiastique d'un espace réputé pour être "les meilleures terres". Il peut dans ce cas, résulter d'un partage entre le seigneur du lieu, de la famille des Vintimille, obligé de céder son "bien" au comte de Provence, qui lui en aurait alors rétrocédé une part en fief (simple hypothèse s'appuyant sur d'autres exemples connus dans notre vallée).
Bien orienté, fortement ensoleillé, l'endroit paraît propice à une occupation médiévale. De plus, il surplombe l'actuel village. Ce quartier représente encore un espace "symboliquement approprié".
Nous y -retrouvons, au nord, une butte dont le caractère symétrique et la situation entre les deux vallées (de la
Vésubie et de la Gordolasque) est indicative d'un choix réfléchi. A son sommet, les ruines que la carte topographique nomme "Saint-Jean", faisant penser à l'implantation d'une chapelle.
Et c'est bien ce que l'on trouve en s'y rendant. Une carcasse s'ouvrant par une voûte massive, au parement très irrégulier. Les murs sont essentiellement constitués de pierres roulées (de galets, de dimensions relativement importantes jusqu'à 60 cm de long). Il y est difficile de découvrir des pierres taillées, qui se nichent capricieusement sur un pan du mur nord. Les parements sont assemblés sans assise apparente. Nous pouvons également imaginer le départ d'une voûte intérieure, qu'il faut découvrir dans les angles les mieux conservés de la bâtisse. Mais rien n'indique qu'elle fut en pierres, et moins encore l'épaisseur des murs, qui semble trop faible pour soutenir une telle construction de pareille élévation. Le couvrement de l'édifice que nous voyons aujourd'hui devait être une simple charpente.

Deux ouvertures, des fenêtres, semblaient être présentes sur le mur sud, permettant un éclairement. La chapelle n'est pas orientée et ne paraît pas médiévale. Elle aura pu être réédifiée à une époque tardive, et peut être, s'appuyer en partie sur un bâtiment antérieur. On décèle une porte, à partir d'un chaînage grossier, à l'ouest du mur sud, ouvrant vraisemblablement sur la partie postérieure du bâtiment du t
emps de son élévation. On y accédait par des marches. Le liant employé est un mortier de chaux, grossier, en joints larges, du fait de l'irrégularité des pierres. La bibliothèque de Cessole nous a permis de retrouver une, photographie que le Chevalier avait prise à la fin du siècle dernier, nous montrant encore l'édifice, sans couverture, mais dans son élévation principale. On découvre au-dessus de la voûte d'entrée, la présence d'une fenêtre de façade, en deux ouvertures (il ne s'agit visiblement pas de fenêtres jemelées). Ce modèle se retrouve sur la façade de l'église paroissiale actuelle. L'intérêt de ce document est essentiel, car il nous montre la chapelle une trentaine d'années avant les travaux qui y ont installé un fort "Maginot".

   Un autre document retrouvé par notre Centre d'Études revêt une importance certaine. La paternité en revient à M. Cyril Isnart, Chargé de la Conservation au M.T.V. Une note manuscrite de Paul Canestrier, l'ancien folkloriste du Comté de Nice, retrouvée également à la bibliothèque de Cessole, nous apprend que, je cite: «les gens de Belvédère s'y rendaient en procession toutes les année et voulaient alors qu'elle soit mieux entretenue que l'église paroissiale». Sans doute rappelle-t-il une tradition remontant à une époque antérieure à la Révolution, car il semble certain que les combats et l'occupation française de la fin du XVIIIème siècle ont été la cause de la ruine de l'édifice.

Cette indication de Paul Canestrier confirme, par l'intermédiaire de la tradition, l'importance symbolique que revêtait l'édifice. Elle est corroborée par un témoignage oral (encore une fois M. Bois) nous présentant quelques personnes sacrifiant il y a encore quelques années, à ce rituel dont la signification avait totalement disparu pour beaucoup de ses contemporains. La procession est un phénomène social important, qui perdure souvent quand bien même son origine et sa signification se sont perdues dans un temps disparu, où l'objet de ce déplacement conservait un rôle fondamental dans l'organisation politique et symbolique du site.
Il rappelle la présence d'un lieu de culte qui fut essentiel pour la communauté des habitants. Je propose d'y voir un "premier" site d'implantation de l'habitat, et pourquoi pas le château que nous recherchons, sinon la tour, à proximité de cette éminence.

La géologie, même si elle ne représente pas un élément essentiel dans cette démonstration, nous précise que le site de Saint-Jean se situe sur la roche (schiste), alors que la Condamine et tout le versant de Belvédère sont installés sur de la sédimentation et du conglomérat glaciaire. Et l'on se rappelle que l'implantation d'un édifice de défense reposait sur un choix réfléchi du site, puisqu'il était fait, par nature, pour durer, voire résister.

Il nous paraît vraisemblable qu'un premier habitat ait été installé à proximité de cette bute, à une époque indéterminée, mais de toute façon antérieure au XIVème siècle. Sa physionomie peut permettre l'implantation d'un château entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle, selon les informations offertes par Jean Claude Poteur. Le village aurait pu s'y agglutiner à l'époque de l'incastellamento (vers le XIIème siècle) pour ensuite quitter ce site et s'installer, vers la fin du Moyen Age (XIVème-XVème siècles), sur son emplacement actuel. Ce qui permettrait de comprendre l'absence relevée de toute trace antérieure à cette époque dans le village de Belvédère.

En 1932, l'armée française acquérait le site pour y installer un fort, en continuité de la fameuse ligne «Maginot», afin de surveiller le débouché de la vallée de la Gordolasque, dont la partie amont restait italienne depuis le traité de Paris de 1860. Poste avancé, merveilleusement camouflé (M. Bois racontait à nos élèves que l'écurie des mulets était construite à l'intérieur des ruines de la chapelle, ce qui la rendait invisible), fort souterrain, il n'eut qu'une utilité réduite, et fut abandonné rapidement dès les premiers efforts italiens, pour permettre de tenir la ligne des ouvrages plus importants... Il représentait un choix similaire à celui qui avait été réalisé au lendemain de l'An Mil.

Lexique

  • Albergue - droit d'hébergement du Comte de passage dans l'un de ses château.

  • Castrum - habitat fortifié autour d'un château.

  • Incastellamento - phénomène d'enchâtellement, constitution des villages, commun aux pays de Langue d'Oc et du Nord de l'Italie, aux XIIème et XIIIème siècles.

  • Paratore - parois, ou moulin à foulon, servait à nettoyer le drap de laine de son graissant. Des marteaux en bois, frappaient dans des cuves, souvent en pierre, dans lesquelles trempaient les draps saupoudrés de terre de Sommières ou équivalent, qui absorbaient la graisse du linge.

E. GILI - Mai 1999

 

MASSÉNA au BREC D'UTELLE 

   Nommé Général de brigade, le 22 août 1793, Masséna s'illustra les 24 et 25 novembre, en s'emparant de CASTEL-GINESTE, du Scandoulier et du BREC D'UTELLE, positions fortifiées et réputées imprenables.

   De 1792 à 1794, dans tout l'ex-Comté de Nice, devenu le premier département des Alpes Maritimes, se poursuivit une guerre fertile en combats d'avant-postes, qui trouvaient dans l'exceptionnel fouillis de pics et de vallées enchevêtrées de la région, un terroir des plus favorables pour multiplier ruses et embuscades.

    Une partie des 6000 Hommes de Masséna qui gardaient la Basse Vésubie occupait Utelle tandis que les ennemis retranchés à Castel-Gineste et au Brec d'Utelle les dominaient en les menaçant. Masséna décida de les chasser. Avec audace, suivi d'une colonne de volontaires, dans les éboulis impraticables, s'accrochant aux aspérités à flanc de précipice, le Général et ses hommes atteignirent enfin Gineste qu'ils attaquèrent impétueusement. Après 2 heures de résistance acharnée, les ennemis abandonnant leurs retranchements se réfugièrent au Brec.

Pour la suite laissons la parole à Masséna lui-même : 

"Le Brec est une montagne des alpes en cette partie la plus élevée et la plus difficile : on y arrive par un sentier étroit et anguleux, bordé de roches et de précipices, où, depuis la naissance de la guerre, on ne s'avisa jamais de traîner un canon ; ce qu'on n'avait pas entrepris, nous l'achevâmes. Je fis monter de la Madone d'Utelle une pièce de 4 : nous la portâmes à bras l'espace de 2 milles ; général, officiers, soldats, tout y mit la main ; enfin, après 7 heures d'efforts qui tiennent du prodige et que le génie de la liberté peut seul inspirer, elle était en batterie au poste avancé de Castel-Gineste et elle tonnait sur les esclaves sardes. Peignez-vous leur surprise et leur épouvante ! Ils s'ébranlent, grenadiers chasseurs, éclaireurs montant au pas de charge, nous sommes les maîtres du Brec. Nous poursuivons l'ennemi de rocher en rocher, de poste en poste. Une colonne conduite par Despinoy, adjudant général, se précipite par me ordres au Figaret ; après quelques fusillades, les ennemis fuient de toute part, ils nous abandonnent 3 camps plus de 40 mulets chargés de bagages et de munitions de toutes sortes, 300 tentes, des ustensiles, des armes, des matelas, des courte-pointes, des oreillers et l'attirail qui suit des hommes efféminés, des esclaves ..."

L'histoire de Masséna se confond avec celle de ses campagnes militaires. En quelques années, ses prouesses, son audace, son extraordinaire sang-froid, son étonnant jugement, toutes ses précieuses qualités de chef, se dévoilent pour s'imposer au point de placer Masséna en tête des meilleurs militaires d'une époque qui pourtant en fourmille.

 

LES BARBETS.

 

Les combats

   L'âpreté des combats des années 1792 1793 donne l'explication du barbétisme. La vallée de la Vésubie fut sans cesse traversée par les armées vivant le plus souvent aux dépens de la population en se livrant à de véritables pillages. On ne peut que comprendre la hargne avec laquelle les barbets les plus réputes s’opposèrent aux troupes françaises. 

1792

   Le royaume sarde allié à l’Autriche déclare la guerre à la france. Le 22 octobre Masséna occupe Belvédère avec 30 volontaires, il emprisonne le maire Paul Laurenti ainsi que les conseillers présents, la troupe pille le village et dévalise les paysans, mais l'approche du maréchal Castelberg contraint Masséna à se replier sur Lantosque. Le 28 octobre Castelberg établit son quartier général à Belvédère, fortifiant le village et transformant la chapelle St Jean en redoute. La vallée de la Vésubie est alors entièrement sous contrôle austro-sarde.

1793

   Le 2 mars, l'armée française s'empare de Belvédère. Fin mars, Castelberg reprend Belvédère. Le 2 avril, lesLes barbets français reprennent Belvédère. Brunet fortifie les retranchements de St jean et Condamine et l'artillerie est installée à Treminil, base du Capelet occupé par les armées austro-sardes . Défaits au Raus les français rebroussent chemin vers Belvédère. De nombreuses escarmouches sont lancées contre les retranchements de St Jean . Les notables de Belvédère sont conduits prisonniers au fort Carré d'Antibes. La fin de l’année 1793 vit les 2 forces en présence camper sur leurs positions de 1792. Les populations civiles firent les frais de cette valse hésitation des 2 corps d'armées, ballottées entre sardes et français. Beaucoup de villageois gagnèrent les rangs des Barbets occasionnant par leurs embuscades de nombreuses pertes aux armées françaises. Nous rappellerons pour mémoire l'origine du saut des français sur la route de Duranus ou les barbets faisaient sauter les républicains dans la Vésubie.

1794

   Le 16 avril Garnier et Serrurier attaquèrent Belvédère. Les succès de Masséna obligèrent les austro-sardes à évacuer le Raus et les rejetèrent au delà du col de Tende marquant ainsi la fin des opérations militaires dans notre vallée. Les barbets continueront à tenir seuls le terrain mais la convention mit fin à cette lutte. Nul doute que les excès des armées firent progresser cette forme de résistance. Les villageois ballottés entre les deux armées antagonistes étaient désemparés. Les coups de mains des uns et les occupations des autres cassèrent le rythme ancestral de la vie paysanne. Beaucoup d'hommes étaient sous les drapeaux, d'autres avaient rejoint les Barbets. La lutte contre ceux-ci par la Convention a favorisé la liquidation des combats fratricides au sein de la communauté.

 

Au sujet des ouvrages militaires

   Flaut, Gordolon, Rimplas etc. extrait de LA MILITARISATION DE LA FRONTIERE 1928-1940 par Jean-Louis PANICACCI.

   La vallée de la Vésubie n'a pas été négligée par les organisateurs du S.F.A.M., car son extrémité supérieure (Le Boréon) et celle de ses affluents de rive gauche (vallons de la Gordolasque et de Fenestre) se trouvaient jusqu'en 1947 en territoire italien.

   L'antique "chiuse" de St.Jean-la-Rivière, très comparable au point de vue conception à celle de Bauma-Negra dans la Tinée, comportait également des ponts escamotables permettant d'interrompre la route et la voie du tramway de Saint-Martin Vésubie. Au moment du conflit franco-italien, elle n'était plus opérationnelle et tout au plus a-t-elle dû servir de dépôt.
Par contre, tout au long de la vallée, les casemates, avant-postes et gros ouvrages ne manquent pas ; ils génèrent considérablement les troupes fascistes dans leurs tentatives de pénétration vers le sud. Cinq casemates d'infanterie verrouillaient la vallée. De bas en haut : Le Suquet (Utelle), Gordolon (Lantosque), La Bollène-Ouest (ouvrage non terminé, brut de coffrage, situé au-dessus du carrefour de la route de La Bollène), Roquebillière et
Venanson. Cette casemate était située sur l'éperon sud du village, en position dominante sur le haut de la vallée et la route R.D. 2565 menant à St. Martin.

   Les gros ouvrages mixtes sont au nombre de deux, très puissants et agissant ensemble pour barrer la voie de passage que constitue la Vésubie. Le Gordolon, situé près de Lantosque, avait aussi pour mission de surveiller tout mouvement suspect dans la vallée de la Gordolasque.

L'ouvrage de Gordolon disposait d'un armement mixte très complet, comprenant :

  • pour le bloc 2 un créneau jumelage mitrailleuses et canon antichars de 47 mm, deux mortiers de 81 mm, une cloche G. F.M., une cloche jumelage mitrailleuses.
  • pour le bloc 3 deux canons de 75 mm, deux mortiers de 81 mm, une cloche G.F.M., une cloche observatoire et deux cloches avec jumelages mitrailleuses. De gros moyens de défense, donc, pour ce monstre d'artillerie, structuré en étages vu le manque de place offerte par le terrain environnant.

L'ouvrage de Flaut, qui fait face à celui de Gordolon, comportait lui aussi un impressionnant arsenal d'armes, propre à décourager l'adversaire le plus résolu : mortiers de 81 mm, canons de 75 mm, créneaux antichars, en bref tout ce qu'il était possible de trouver en armement de forteresse à l'époque...

Tout cet ensemble fortifié n'a pas déçu les espoirs placés en lui. La célèbre devise «On ne passe pas» a été, du moins dans cette région, tout à fait justifiée

La Commission d'Organisation des Régions Fortifiées (la C.O.R.F.) décida d'implanter, le long d'une ligne dite "Position de Résistance" distante de 5 à 8 km de la frontière italienne, un ensemble d'ouvrages du type de la Ligne Maginot devant constituer le Secteur Fortifié des Alpes Maritimes (S.F.A.M.).

  • Le premier coup de pioche fut donné le 4 septembre 1928, sur un piton dominant la Tinée et le Valdeblore : Rimplas - La Madeleine.
  • En 1930 débutèrent les travaux des ouvrages de FLAUT, GORDOLON. La construction de ces forts dits "gros ouvrages" fut achevée entre le 31 octobre 1933 et le 1er juin 1935. Ces ouvrages modernes associant le béton (de 1 à 3 mètres d'épaisseur) et l'acier (de 18 à 33 centimètres de blindage) à la protection naturelle du rocher (de 12 à 40 mètres au dessus des galeries) donnèrent satisfaction aux autorités militaires, ainsi que le souligna le Commandant du XVème Corps : "Creusés dans le roc, renforcés du meilleur béton et de cuirassement épais, tous les ouvrages de ce programme furent de la classe des meilleurs de la Ligne Maginot".
  • Chaque ouvrage de S.F.A.M. fut aménagé selon le schéma suivant : un bloc d'entrée commun aux hommes et aux munitions, donnant accès à une galerie débouchant sur le casernement, l'usine électrique, les services, plusieurs blocs de combat dotés d'armes automatiques (sous créneau ou cloche) et de canons (sous créneau ou tourelle). Tout au long des galeries à l'abri des tirs ennemis, s'étend une ville souterraine autonome où sont rassemblés casernement, services, réserves, magasins à vivres et à munitions, postes de commandement. Les galeries donnent accès, généralement par des monte-charges, à des blocs disséminés affleurant le toit et n'offrant qu'un minimum de prise aux tirs adverses.
  • Deux forts, occupant une position dominante, Rimplas et Mont-Agel furent reliés par téléphérique à la vallée, celui de Rimplas mesurant 878m pour une dénivellation de 602m, nécessitant 6 pylônes de soutien permettant à 21 bennes de transporter 5 tonnes par heure, à l'abri de l'observation de l'adversaire potentiel.
  • RIMPLAS effectif      383 - 13 Fusils Mitrailleurs - construction: 1928-1934
  • FLAUT   "      354 - 12       "                  "                  1931-1935
  • GORDOLON       "     299 – 8         "                  "                  1931-1935

Afin de compléter le dispositif du S.F.A.M. qui présentait quelques angles morts et lacunes dans la continuité des feux, la C.O.R.F fit construire, de 1931 à 1936, des "petits ouvrages" et des observatoires. Ces ouvrages ne disposaient pas d'artillerie, hormis quelques tubes antichars, mais possédaient des jumelages de mitrailleuses et des fusils mitrailleurs destinés à assurer une ligne de feu continue et sans faille

Fort de Rimplas - haut pays niçoisLa militarisation accrue de la région frontalière déboucha également sur l'interdiction par le Génie Militaire, de la construction de routes souhaitées par diverses municipalités et le Conseil Général, telles que les liaisons Rimplas - St Sauveur, Berthemont - St Martin Vésubie, Roubion - Beuil, Venanson - Col St Martin, Roquebillière - Granges de La Brasque etc.

Extrait de      Les Alpes Maritimes et la Frontière 1860 à nos jours    éd. Serre à Nice - Avril 1992

Coût de Rimplas : 34 186000 F Flaut : 23 544 000 F Gordolon : 21 374 000 F

 

 

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Crédits à: Monsieur Marc ZWILLER

 

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